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Lettre à Dries

Dernière mise à jour : 18 juil. 2024



Je fais ici une petite exception dans la série d’articles sur le surrealisme en écrivant sur Dries Van Noten. D’ailleurs, est-ce vraiment une exception sachant que le surréalisme déplore la répétition et que Dries Van Noten soit un faiseur de rêves ?

 

Le rêve a, en effet, une place importante dans la création de celui qui a dit : « la dernière chose à faire quand on souhaite créer une collection sur le Maroc, par exemple, c’est de s’y rendre… Quand on voit les choses, il y a moins de place pour la créativité et l’imagination. » Cela pourrait lui ouvrir les portes du surréalisme qui a cherché à libérer le fonctionnement de la pensée pour créer une géographie imaginaire. Pour le corps, façon Chirico, Magritte ou Dali. Ou pour l’esprit, façon Miro, Masson ou Matta.

 

Mais j’arrête là le parallèle, mon admiration profonde pour Dries Van Noten justifie amplement cette lettre alors qu’il vient de présenter sa dernière collection qui clôt une merveilleuse trajectoire commencée presque quarante ans plus tôt.

 


« Cher Dries,

 

Je crois que la première chose qui m’a plu est votre justesse de la féminité. À une époque où les marques nourrissaient des archétypes féminins, votre vision m’a toujours semblé plus ouverte, variée, libre. Aucun code n’était interdit, les silhouettes passaient d’une légère robe fleurie ultra féminine à un tailleur pantalon avec une élégance nonchalante qui est votre signature. Je réaliserai plus tard que vos créations pour les hommes participaient de la même fluidité. Il y a une justesse qui a traversé le temps. Et les genres.

 

J’ai aimé aussi que vos inspirations lointaines ne tombent jamais dans l’exotisme, mais qu’au contraire, chacune de vos collections célèbre l’éclectisme de votre univers. Les défilés indiens en 1994 sur la chanson Love me Tender d’Elvis, puis Gypsies en 1998, ou Mexico deux ans plus tard sur des répliques de films d’Almodovar. Les imprimés et les tissus étaient ethniques mais les silhouettes ne l’étaient pas. Pourquoi ? Parce que vous en faisiez la synthèse avec la mode urbaine occidentale. Manteau trois quart pour homme mais en soie iridescente, veste de costume mais sur une tunique fleurie transparente, robe brocard mais sur un parfait pantalon à pinces : le tayloring est réinventé. La structure rencontre la souplesse, la verticalité rencontre les courbes, le minimaliste rencontre l’opulence. Vous maîtrisez l’art du décalage et votre goût pour le paradoxe fait que vous ne m’avez jamais déçue.

 

Votre créativité ne puise pas uniquement dans l’exotisme, loin de là. Il y a aussi votre amour des jardins - du vôtre parait-il- dont témoigne l’infinie variété de tissus fleuris qui colorent vos collections (femmes et hommes). Mais pas que. Cocteau, Bowie, Bacon. Pina Bausch, Iris Apfel, Elizabeth Peyton. Uniforme, Bloomsbury, Art Optique. Vous êtes est un homme de votre époque : votre présent se nourrit du passé pour annoncer un futur désirable. Grâce à vos collections, ma culture s’est agrandie, sans passer par la connaissance mais par le sensible. Vous avez abrogé les frontières entre les disciplines, les pays et les époques, pour faire la mode telle que je l’aime : celle qui tisse des histoires nouvelles à partir de fils existants.

 

Je garde un souvenir très précis et surtout ému de la rétrospective de votre travail au Musée des Arts Décoratifs en 2014. Œuvres d’art, tapisseries, photos, musiques répondaient aux silhouettes pour représenter votre univers. Un souvenir émouvant car j’ai davantage eu l’impression de voyager dans votre cœur que dans votre tête. Quelle joie de découvrir d’où vient la beauté à travers le cœur et les yeux d’un créateur.

 

Grâce à vous, j’ai appris le mélange des matières, des couleurs et des motifs. Avec une subtilité si impressionnante que je n’ai jamais eu envie de « refaire à l’identique » mais plutôt de regarder, de regarder encore (en-cœur) pour m’imprégner de leur poésie et de leur singularité.

J’ai appris que l’élégance était une attitude et un goût sûr, qu’elle ne s’imposait pas, grâce à une bonne dose de nonchalance, et se permettait tout, grâce à la même dose de confiance. Je voudrais vivre dans un monde où femmes et hommes soient tous habillés en Dries Van Noten car alors, personne ne se ressemblerait et la beauté serait partout. Mais c’est peut-être mieux que cette beauté reste une exception et que le cœur s’arrête quand il la croise.

 

Alors merci, cher Dries. Et si les équipes qui vous succèdent ne parviennent pas à vous égaler, elles pourront toujours refaire défiler vos silhouettes et nous offrir ainsi une joie intacte. »

 



N.B : choix impossible d’images ! Mais découverte merveilleuse pour les #drieslovers : l’historique des vidéos de TOUS les défilés est disponible sur le site https://www.driesvannoten.com/en-fr/pages/silent-archives

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